Substitution des médicaments chez l’enfant : l’Europe, l’Amérique du Nord… et chez nous au Maroc
Dr Anwar CHERKAOUI Expert en communication médicale et journalisme de santé
Une association marocaine de pédiatres a adressé au ministère de la Santé et de la Protection sociale un courrier attirant l’attention sur les particularités de la prescription médicamenteuse chez l’enfant, ainsi que sur les risques potentiels liés à la substitution.
Changer un médicament chez un adulte est déjà un acte médical délicat.
Chez un enfant, c’est un terrain sensible, parfois explosif.
Derrière une simple substitution en pharmacie se cachent des enjeux majeurs de sécurité, d’efficacité et même de survie thérapeutique.
La question n’est plus marginale : elle est devenue un véritable débat de santé publique.
Mais au Maroc, un autre élément rend le sujet encore plus crucial.

Dans un pays où des milliers, voire des millions de familles vivent avec plusieurs enfants dans des conditions de précarité, la substitution représente souvent bien plus qu’une alternative pharmaceutique : c’est parfois la seule porte d’accès à un médicament efficace et à faible coût.
Dès lors, la véritable question n’est pas de savoir s’il faut substituer ou non, mais comment instaurer un dialogue structuré entre le pédiatre prescripteur et le pharmacien, afin d’assurer une substitution qui soit à la fois médicalement sûre, socialement équitable et économiquement efficiente.
Un partenariat intelligent, transparent et documenté pourrait ainsi concilier deux impératifs : protéger la santé de l’enfant tout en garantissant aux familles les plus modestes un accès réel et durable aux traitements essentiels.
États-Unis : substitution autorisée, mais sous surveillance pédiatrique
Aux États-Unis, la substitution générique est la règle.
Le pharmacien peut remplacer un médicament de marque par son équivalent générique, sans en avertir immédiatement le médecin.
En apparence, tout semble simple : même molécule, même dosage, même efficacité.
Mais en pédiatrie, rien n’est vraiment “pareil”.
L’American Academy of Pediatrics met régulièrement en garde : chez l’enfant, surtout en bas âge, le changement de formulation peut modifier l’observance, le goût, l’absorption ou l’effet réel du médicament.
Le pédiatre reste le principal référent et peut exiger « ne pas substituer » pour les médicaments sensibles, notamment ceux à marge thérapeutique étroite comme les antiépileptiques, la digoxine ou certains traitements thyroïdiens.
Aux États-Unis, la substitution existe donc, mais elle n’est jamais totalement libre : elle s’accompagne d’une vigilance accrue pour éviter crises d’épilepsie, déséquilibres cardiaques ou dérégulations endocriniennes provoqués par un simple changement de laboratoire pharmaceutique.
Europe : génériques admis, mais avec des garde-fous stricts
L’Europe avance sur deux jambes : favoriser les génériques, mais protéger les enfants.
L’Agence Européenne du Médicament (EMA) impose des règles particulièrement rigoureuses pour les médicaments destinés aux plus jeunes.
Première règle : surveiller les excipients.
Goût, sucres, édulcorants, alcool, propylène glycol, parabènes… tout est évalué.
Car un excipient mal toléré peut suffire à faire vomir l’enfant, à altérer l’absorption ou à provoquer des effets toxiques chez les nourrissons.
Deuxième règle : prudence extrême pour les médicaments à marge thérapeutique étroite.
Plusieurs pays déconseillent même de changer de générique chez un enfant stabilisé, surtout en neurologie ou en cardiologie.
En Europe, la substitution n’est donc pas un automatisme : elle est encadrée par des règles scientifiques et par le respect de la physiologie enfantine.
La position des grandes institutions pédiatriques internationales
Que disent les grandes organisations pédiatriques du monde ?
Leur message est clair :
– Les génériques sont utiles, efficaces et sûrs… à condition que la formulation soit parfaitement adaptée à l’enfant.
– Les substitutions ne doivent pas être répétées, non encadrées ni imposées.
– L’enfant n’est pas un adulte miniature : son goût, son tube digestif, sa maturité métabolique et sa capacité à avaler une préparation conditionnent l’efficacité réelle du médicament.
L’OMS insiste sur l’importance de l’acceptabilité : un médicament non avalé n’a aucune efficacité.
Un simple changement de goût peut briser l’observance et déstabiliser une maladie chronique.
Une alerte mondiale : la substitution pédiatrique n’est jamais neutre
Dans les traitements chroniques — épilepsie, cardiopathies, troubles endocriniens, diabète — la substitution non contrôlée peut provoquer :
déséquilibres, hospitalisations évitables, effets indésirables liés aux excipients et perte d’efficacité clinique.
Et maintenant ? Une question de vigilance et de responsabilité collective
Le débat n’est pas idéologique.
Il n’oppose pas “marques” et “génériques”.
La question est simple :
Peut-on appliquer aux enfants les règles de substitution conçues pour les adultes ?
L’expérience internationale répond :
oui, mais pas toujours, pas n’importe comment, et jamais sans un œil médical expert.
Protéger les enfants de variations pharmacologiques invisibles est un impératif universel.
Au Maroc, où l’équilibre entre sécurité médicale et accessibilité économique est essentiel, la solution passe peut-être par ce triptyque :
dialogue entre pédiatre et pharmacien, transparence des substitutions, et accompagnement éclairé des familles.
Car un système de santé qui protège ses enfants, ce n’est pas un système qui freine : c’est un système qui avance.
Mots-clés: Pédiatrie, Pharmacie, Médicament





