Don et greffe d’organes et de tissus au Maroc: le temps d’un conseil est dépassé, l’heure est à une agence nationale
Par Dr Anwar CHERKAOUI, expert en communication médicale et journalisme de santé
Des morts évitables dans le silence administratif
Chaque jour, des Marocaines et des Marocains meurent faute d’un organe disponible.
Ces morts ne sont pas inévitables : elles sont la conséquence directe d’un système désorganisé, d’une coordination inexistante et d’une absence de vision stratégique.
En 2025, à l’heure où les blocs opératoires marocains réalisent des prouesses en cardiologie interventionnelle, en chirurgie robotique ou en imagerie avancée, le don et la greffe d’organes restent le parent pauvre du système de santé.
Le Maroc compte des chirurgiens hautement qualifiés, des équipes prêtes à agir, et une législation solide – la loi 16-98 encadre le don et la greffe d’organes depuis plus de vingt ans.
Législation, certes, qui doit être améliorée.
Mais la structure chargée de ce domaine, le Conseil consultatif de greffe d’organes et de tissus humains, est aujourd’hui un navire à l’ancre.
Sans autonomie, sans budget, sans relais régionaux, il n’a jamais pu jouer son rôle d’impulsion et de coordination.
Un conseil consultatif paralysé
Sur le papier, sa mission est claire : encadrer, réguler, impulser.
Mais dans les faits, le Conseil n’a pas les moyens de ses ambitions.
Ses réunions se sont espacées, ses recommandations sont restées lettres mortes, et plusieurs de ses membres ont fini par démissionner, découragés par la lenteur administrative et le manque d’écoute.
Résultat :
Pas de banque nationale d’organes opérationnelle.
Pas de base de données actualisée des donneurs et receveurs.
Pas de stratégie nationale de communication.
Et aucune structure de coordination hospitalière pour les prélèvements et les greffes.
Pendant ce temps, les patients en attente se comptent par milliers.
Des femmes dialysées depuis des années, des enfants aveugles faute de greffe de cornée, des hommes en insuffisance cardiaque en quête d’un cœur qui ne vient jamais.
Les modèles qui sauvent des vies
Ailleurs dans le monde, la solution est connue : la création d’agences nationales de transplantation d’organes et de tissus. .
Ces structures ne se contentent pas d’émettre des avis : elles pilotent, coordonnent et mesurent.
En France, l’Agence de la biomédecine supervise l’ensemble du processus : du prélèvement au suivi post-greffe, en garantissant la transparence et l’équité.
En Espagne, l’Organisation nationale de transplantation (ONT) est devenue une référence mondiale.
Grâce à un réseau d’hôpitaux interconnectés et des coordonnateurs formés, l’Espagne détient depuis des années le record mondial de dons d’organes.
En Tunisie et en Égypte, des structures similaires ont permis de tripler le nombre de greffes rénales et hépatiques en moins de dix ans.
Ces agences disposent d’un budget propre, d’un personnel permanent, d’une infrastructure numérique et d’un pouvoir réglementaire clair.
Elles sont le maillon vivant entre le patient, le médecin et l’État.

Le Maroc à la croisée des chemins
Le Royaume a tout pour réussir.
Ses lois sont claires, ses équipes médicales performantes, ses hôpitaux universitaires mobilisés.
Mais il manque l’essentiel : une institution exécutive dotée de moyens et de responsabilités.
La création d’une Agence nationale Marocaine du Don et de la Greffe d’Organes et de Tissus s’impose désormais comme un choix vital.
Cette agence devrait être placée sous la tutelle du ministère de la Santé mais bénéficier d’une autonomie de gestion.
Elle aurait pour missions principales :
la mise en place d’un registre national informatisé,
la création de banques nationales de tissus et d’organes,
la coordination des centres hospitaliers de prélèvement et de greffe,
la formation des équipes régionales,
et la conduite de campagnes nationales de sensibilisation.
Un volet de communication médicale et citoyenne est essentiel pour rétablir la confiance du public, souvent marqué par la méfiance ou les faux préjugés religieux.
Un impératif éthique et humain
La greffe n’est pas une simple technique médicale : c’est un acte d’humanité.
Elle incarne la solidarité dans sa forme la plus noble : permettre à une vie de continuer grâce au don d’une autre.
Ne pas agir, c’est accepter que des organes viables soient enterrés avec leurs donneurs.
C’est accepter que des patients jeunes meurent faute de coordination.
C’est aussi renoncer à une vision moderne de la santé publique, fondée sur le don et la dignité humaine.
Dans un pays où l’espérance de vie progresse et où les maladies chroniques explosent, organiser le don et la greffe devient un enjeu de civilisation.
Du conseil à l’agence : un tournant historique
Le Maroc n’a plus besoin d’un Conseil consultatif qui observe et attend.
Il a besoin d’une Agence nationale qui agit.
Ce changement n’est pas un luxe institutionnel : c’est une urgence sanitaire et morale.
Les médecins, les patients, les associations et les parlementaires doivent faire front commun pour porter ce projet.
Parce qu’au-delà de la technique, la greffe est un projet de société.
Et parce qu’une société qui donne, c’est une société qui vit.
Conclusion
Le temps des commissions et des conseils est révolu.
Le Maroc doit ouvrir celui des agences qui sauvent des vies.
Ce qu’il a déjà fais dans d’autres domaine ( sang, médicaments,,,)
Il en va de notre responsabilité collective et de notre devoir d’humanité.
Encadré
Greffe d’organes au Maroc : les chiffres du silence
7000 à 8000 jeunes Marocains attendent une greffe de cornée.
Plus de 10 000 patients sont en dialyse chronique et pourraient bénéficier d’une greffe rénale.
Moins de 300 greffes rénales sont réalisées chaque année, principalement à partir de donneurs vivants.
Les greffes hépatiques et cardiaques restent quasi inexistantes.
Aucune agence nationale de greffe n’existe encore pour centraliser et coordonner ces actions.
Mots-clés: Don d’Organes, Innovation, Greffes d’organes





