Un sein en moins, mais une femme entière : le défi aux revues féminines marocaines
Par Dr Anwar CHERKAOUI
Expert en communication médicale et journalisme de santé
Une couverture qui dérange ou qui libère ?
Et si, un jour, une revue féminine marocaine osait afficher en couverture une femme marquée par la vie, une amazone moderne, fière, digne, épanouie — avec un seul sein ?
Non pas pour choquer, mais pour dire : la féminité ne se mesure pas à la symétrie du corps, mais à la lumière du regard.
Une telle couverture ferait date.
Elle bousculerait les codes, les tabous, et peut-être la morale de façade.
Mais elle ouvrirait aussi une brèche de courage dans un pays où des milliers de femmes sont amputées du sein chaque année à cause du cancer, et continuent de vivre, d’aimer, d’élever leurs enfants, de travailler — souvent dans le silence et la pudeur.

Le Maroc face à son miroir
Le Maroc de 2025 n’est plus celui d’hier.
La parole des femmes s’affirme, les campagnes de dépistage se multiplient, les associations de lutte contre le cancer se professionnalisent.
Mais la pudeur reste une loi invisible.
Parler du corps, le montrer, le célébrer dans sa différence, reste un combat.
Une couverture montrant une femme au torse partiellement découvert, marquée d’une mastectomie, serait perçue par certains comme une provocation, voire un blasphème.
Mais pour d’autres, elle serait une révolution visuelle, une victoire du réalisme et du courage sur la peur et la honte.
Car le véritable scandale n’est pas de montrer une cicatrice, mais de dissimuler la souffrance de milliers de Marocaines qui se battent contre la maladie dans l’ombre, entre deux chimiothérapies, souvent sans soutien psychologique ni reconnaissance sociale.
Une société encore pudique, parfois cruelle
Dans notre culture, le corps de la femme reste un territoire sensible : symbole d’honneur, de beauté, mais aussi de honte quand il est altéré.
Une femme amputée d’un sein doit souvent affronter le regard des autres avant même celui du miroir.
Certains maris fuient.
Certaines belles-familles se détournent.
Et certaines femmes, par peur du rejet, renoncent au traitement, retardent la chirurgie, ou s’isolent.
Ce n’est pas la maladie qui tue en premier,
c’est le silence et la peur du jugement.
Le vrai message : guérir et rester femme
Pourtant, les progrès médicaux au Maroc sont considérables.
Les chirurgiens pratiquent de plus en plus de reconstructions mammaires immédiates, permettant aux femmes opérées de se réapproprier leur image.
Les oncologues et les psychologues intègrent la notion de qualité de vie dans le parcours de soin.
Et de nombreuses patientes témoignent :
« J’ai perdu un sein, pas ma féminité. »
Les traitements du cancer du sein — chirurgie, chimiothérapie, hormonothérapie, radiothérapie — n’empêchent pas la beauté, la séduction, la maternité ni l’amour.
Ils prouvent au contraire que la force de vivre est la plus belle forme de féminité.
Quelle femme oserait ?
Alors oui, la question demeure :
quelle femme marocaine accepterait aujourd’hui de poser, la tête haute, le torse à moitié découvert, pour dire « je suis encore là » ?
Ce serait une pionnière.
Une militante du courage et de la vérité.
Une sœur de toutes celles qui pleurent dans les salles d’attente des hôpitaux.
Une femme libre dans un pays qui apprend encore à regarder la maladie sans détourner les yeux.
Cette femme pourrait être médecin, journaliste, institutrice ou ouvrière.
Elle n’aurait pas besoin d’être mannequin.
Elle incarnerait le Maroc du courage, celui des femmes qui ne veulent plus cacher leurs cicatrices sous un foulard de honte.
Entre foi, dignité et modernité
Notre société, profondément marquée par la religion, n’est pas fermée à la compassion.
Mais elle reste souvent prisonnière de l’apparence.
Pourtant, l’islam authentique prône la pudeur, certes, mais aussi la dignité, la résilience et le droit à la guérison.
Rien, dans la foi, n’interdit d’aimer son corps, même amputé.
Rien n’interdit de montrer la beauté du courage, surtout si elle inspire la prévention et le dépistage.
Et si l’émotion devenait outil de santé publique ?
Imaginez cette une :
une femme marocaine, debout, forte, le regard vers l’horizon.
Un sein, une cicatrice, un sourire.
Titre : « J’ai vaincu le cancer, je vis ma féminité. »
Les ventes exploseraient.
Les débats s’enflammeraient.
Mais surtout, des milliers de femmes iraient faire leur mammographie.
Et c’est là toute la puissance du symbole.
Ce n’est plus une photo de choc,
c’est une photo de vie.
Une révolution douce
La maturité d’une société ne se mesure pas à ce qu’elle tolère,
mais à ce qu’elle comprend.
Le Maroc de demain sera mûr le jour où une femme mastectomisée n’aura plus besoin de se cacher,
le jour où la beauté ne sera plus un moule,
et où la cicatrice sera vue non comme une blessure,
mais comme une médaille de survie.
Le défi n’est pas esthétique.
Il est moral, culturel et éducatif.
Les revues féminines marocaines ont le pouvoir de changer le regard — en une couverture.
Encore faut-il oser la vérité.
Mots-clés: Cancer du sein





